Les jours étaient beaux lorsqu’on profitait de chaque petit moment présent sans se soucier des problèmes que les autres, à des centaines de kilomètres de là, pouvaient avoir. Et moi, âgé de mes six ans, j’étais loin de me douter que d’ici quelques années, je serais préoccupé par l’avenir de notre monde, le froid mordant envahissant nos terres et les créatures prêtes à dévorer chaque être vivant. Plus jeune, j’étais simplement plus insouciant, ou bien peut-être n’avais-je simplement pas l’envie de constater que tout n’était pas rose dans ce monde …


Attrapant une canne à pêche d’une main et un seau d'étain de l’autre, je brandissais un sourire joyeux à la femme assise devant moi à table.

- “Je vais rejoindre papa !” lui clamais-je.

Serrant un plus les mains autour des instruments que je venais de ramasser, j’avançais d’un court pas avant que mon interlocutrice se dresse devant moi. Rapidement, elle s’accroupissait pour arriver à mon niveau, réajustait sa rose jaune et d’une main douce, vint nettoyer les restes alimentaires qui traînaient sur le coin de ma bouche.


- “Fais bien attention près de la rivière. C’est glissant.” répondit-elle avec un sourire attentionné.

Je sentais mon sourire grimper jusqu’à mes oreilles alors que j’acquiésais d’un signe de tête devant la mise en garde justifié de la femme. Il m’arrivait souvent, voire presque toujours, de glisser dans l’eau et de rentrer trempé pour que, quelques jours suivants, un rhume me gagne. Et bien qu’elle me fasse toujours la remarque, il fallait croire qu’il y avait des choses qui ne changeaient jamais.

- “Oui maman !”

Et sur cette acclamation, je courais en direction de la porte bien lourde pour moi, la poussant avec difficulté pour disparaître de l’autre côté. Descendant les marches du parvis, sautant de l’une à l’autre comme si cela m’aiderait à arriver plus vite en bas, je dressais mon regard vers le soleil de midi qui se dressait haut dans le ciel. On était en automne et après les quelques pluies qui avaient sévi, le soleil était la bienvenue pour tout le monde. Je voyais les sourires orner le visage des passants et devant moi se tenait une autre maison d'un bois plus sombre et dont les fondations en pierre clair dénotait de l'ensemble de la bâtisse. Un homme était assis dans une chaise à bascule sur le parvis et frottait mes cornes dressés sur sa tête avec un chiffon. Quand nos regards se croisèrent, il me fit un signe de la main avant de sourire. C'était Imb'ly, notre voisin. Je lui rendis alors son salue d'un même signe de main.

- “Ly’ambre attend !” cria une voix derrière moi.

C’était à nouveau ma mère, toujours son sourire rayonnant. Elle tenait dans ses mains un objet emballé dans un torchon grisâtre. Les nombreux lavages avaient fini depuis longtemps de prouver que jamais il ne redeviendrait blanc. Elle s’approchait de moi et glissait dans mon seau l’emballage.

- “C’est pour ton père. Le connaissant, il n’a pas dû manger." me dit-elle.

Et elle avait raison. Mon père était un travailleur forcené mais aussi un rêveur un peu tête en l’air. Quand il se plongeait dans une activité il était rare qu’il pense à autre chose ni même qu’il voie le temps passer. Même s’il s’agissait simplement de manger. Un trait de caractère que je tenais sûrement de lui. Ma mère, elle, était bien plus réaliste. Heureusement, sinon sans elle, l’homme serait sûrement mort bêtement depuis longtemps.
La femme saisit avec ses deux mains ma tête pour venir y déposer un baiser sur le sommet, puis en se redressant, une simple caresse affectueuse.

- “Vas-y mon chéri. Je ne t’embête plus.”

Et d’un nouveau signe de tête, le sourire béat, j’acquiesçais avant de me tourner et de courir en direction de la rivière. Le seau traînant dans la boue.